Posté par
Flora
Le trépas des écrivains : zoom sur quelques fins de vie littéraires
Maudits, exaltés, neurasthéniques, les adjectifs ne manquent guère à l’appel quand il s’agit de qualifier certains poètes et prosateurs dont la destinée se révèle particulièrement tragique ! A priori, quel dénominateur commun pourriez-vous trouver entre Gérard de Nerval, Albert Camus, Molière et Virginia Woolf ? « Aucun ! » me répondrez-vous puisqu’aucun d’entre eux n’appartient à un même courant spirituel ou stylistique. Et pourtant, ils ont bien une filiation ! Macabre en l’occurrence.
La mort « choisie » : une fin de vie désirée et préméditée
Rien ne semble lier Gérard de Nerval, figure emblématique du Romantisme français à Virginia Woolf, femme de lettres anglaise du début du 20ème siècle. Âgé d’à peine cinquante ans lorsqu’il meurt, le premier est connu pour son œuvre onirique, caractérisée par un inconscient fort. Son recueil de nouvelles Les Filles du feu est hanté par la figure de la femme inaccessible. Les ouvrages de Virginia Woolf sont, quant à eux, empreints de militantisme (Une Chambre à soi), de réflexion sur la bisexualité (Orlando) et sur la condition féminine (Mrs Dalloway).
Et pourtant, ces auteurs sont victimes dès leur plus tendre enfance d’un contexte familial douloureux. Tous deux perdent leur mère très jeunes. Nerval est élevé par un oncle tandis qu’au malheur de la jeune Virginia s’ajoute le décès du père et d’une jeune sœur. Confrontés dès le plus jeune âge à la solitude, le poète français et la romancière britannique souffrent, une fois adultes, de graves crises dépressives qui les conduisent jusqu’à l’internement. C’est pourtant lors de ces périodes psychiques que leur création se révèle la plus féconde. Nerval compose l’une de ses nouvelles les plus brillantes, Aurélia, à la sortie d’une crise de schizophrénie qui l’a contraint à l’hospitalisation. Virginia Woolf rédige un de ses plus célèbres chefs-d’œuvre, Mrs Dalloway, alors qu’elle sent le démon de la folie s’emparer d’elle. Rattrapés malgré eux par les méandres les plus sombres de l’âme humaine et profondément insatisfaits sentimentalement, ces deux-là mettront un terme à leur existence, Virginia Woolf choisira la noyade et Nerval la pendaison.
La mort « subie » : une fin de vie accidentelle et mystérieuse
Tous les écrivains dont l’existence est marquée par un décès particulièrement violent ou spectaculaire ne choisissent cependant pas de mettre un terme à leurs jours. Prenons le cas d’Albert Camus et d’Emile Zola. Tous deux arpentent l’au-delà de manière à priori fortuite : Camus décède brutalement dans un accident de voiture alors qu’il rentre de voyage avec son ami Michel Gallimard, Zola meurt asphyxié dans son sommeil, par combustion d’un feu de cheminée.
La manière dont ces deux hommes de lettres partent laisse cependant de nombreux problèmes en suspens. Le grand romancier naturaliste, d’abord, disparaît sans que soit élucidé le mystère qui rôde autour de sa mort. Accident ou assassinat prémédité ? La question s’est longtemps posé et ne semble toujours pas résolue. On connaît les positions politiques de Zola, farouche militant de la cause dreyfusarde. Certains de ses ennemis nationalistes auraient orchestré son meurtre en « bouchant » intentionnellement sa cheminée la veille de son décès. Assassinat en tout cas pleinement revendiqué dans
les années 1920 par Henri Buronfosse, ramoneur qui travaillait chez l’écrivain. On peut établir un diagnostic similaire pour Albert Camus. Si ce dernier n’a pas été assassiné, la brutalité et la nature même de son décès ne vont pas sans évoquer son œuvre. A l’instar de ses héros de roman, Albert Camus ne connaît-il pas le même destin, fauché lui aussi en pleine gloire (il meurt en 1960, trois ans à peine après la remise de son prix Nobel) par un violent et trop injuste accident de voiture ?
La mort « subie » : une fin de vie sous le signe de la passion
Si nombre de figures littéraires subissent le trépas de façon tragique et douloureuse, certains meurent cependant en accomplissant « pleinement » leur art. Molière, éminent dramaturge du siècle classique, décède, pris d’un malaise, sous « les feux de la rampe ». Nous sommes le 17 février 1673, il interprète alors le personnage d’Argan, héros du Le Malade imaginaire. Ironie du sort puisque son dernier rôle est celui d’un éternel hypocondriaque alors que Jean-Baptiste Poquelin se plaisait à rappeler de son vivant que « l’on meurt de médecine, et non de maladie » ! En tout cas, notre comédien de talent, auteur de multiples pièces à succès, part en exerçant ce qu’il a de plus cher au monde : l’art théâtral.
Trois siècles plus tard et dans un tout autre registre, un autre écrivain français, pilote de chasse celui-ci, disparaît, en exerçant une activité qui le passionne plus que tout : l’aviation. Il s’agit d’Antoine de Saint-Exupéry, auteur du magique et philosophique Le Petit Prince. Nous sommes le 17 juillet 1944 et son appareil s’écrase en pleine mer, après une attaque des forces allemandes, alors que notre homme part en reconnaissance pour le débarquement américain. Il est fauché, non pas sur les planches mais dans les airs, aux commandes, lui aussi, lors d’une activité qui lui était chère.
Alors, cher lecteur, l’une de ces troublantes destinées retient-elle particulièrement votre attention ? Après l’examen de ces disparitions, la nature de la mort ne semble-t-elle pas intimement liée à la personnalité de l’écrivain ?